La nuit de noce

Roerth savait être patient. Il l'avait toujours été. Sa position était idéale pour voir la fenêtre de la chambre. Il n'y avait plus de bruits après ces longs gémissements. Et ils dataient d'une heure auparavant environ. Il ramassa le sac qui était à côté de lui, le mit à sa ceinture et se leva. Il allait prendre le chemin des toits et devrait faire pas mal de détours pour arriver à destination. La nuit était sèche, la lune faible, le vent léger. Idéal pour cette escapade. A chaque saut, le sac lui tapotait la cuisse : c'était irritant, mais il n'était pas le plus à plaindre ce soir.

La fenêtre était ouverte. Le peu de lumière de la lune qui entrait dans la chambre, l'éclairait chichement. Toutefois le bouquet blanc posé sur le pupitre, éclairé par un rayon lunaire semblait illuminer la pièce. Au sol il y avait les habits jetés à la va vite par les deux occupants du lit. la porte de leur chambre était close. Un sourire froid apparut sur le visage de Woerth. Ils étaient profondément endormis, l'un sur le dos, l'autre sur le ventre, séparés par quelques froissures de drap blanc.
La table devant la fenêtre paraissait stable et il y posa un pied pour pénétrer dans la mansarde. Il retint sa respiration pour entendre un éventuel choc, mais il n'en fut rien. Il passa tout son corps par la fenêtre, avec beaucoup de souplesse. Il se tenait maintenant accroupi sur cette petite table. Son travail était simple maintenant.
Il descendit sur le parquet, et avança vers le lit, faisant attention à ne marcher qu'aux endroits où il pouvait voir des clous. Il décrocha le sac à sa ceinture. Arrivé tout à côté du lit, il le contourna du côté de la femme et déposa doucement le sac fermé entre les deux dormeurs, près de leurs têtes. Roerth savait parfaitement ce que signifiait sa mission, mais quand il vit la délicatesse des traits de l'elfe, une idée lui vint. Il sortit sa lame sans bruit et la leva au-dessus de l'endormie. Il ne se rendit compte que trop tard de ce qu'il avait laissé derrière lui.

La lame transperça l'épaule d'Ilyn alors que le corps mort qui tenait encore fermement le couteau lui coupait le souffle en s'effondrant sur elle. Elle hurla de douleur. Ses larmes ne pleurèrent autrui pour une fois.
En se réveillant, Arranel vit sa femme se tordre de douleur et eut la présence d'esprit de ne pas retirer la lame pour ne pas aggraver l'hémorragie. Heureusement le garde qu'il avait posté à l'entrée était allé chercher des secours sans tarder.
Sachant qu'il en pouvait rien faire, il reporta son attention sur la sac qui était sur le lit. Il l'ouvrit avec précaution. Dès qu'il fut ouvert le sac roula et déversa un flot de sang sur les draps blancs. Arannel ne cria pas, mais blêmit en reconnaissant la tête blafarde de son lieutenant, sorti en mission lors de la cérémonie du mariage. A bien regarder, le sac contenait aussi une aile de corbeau.

C'est ainsi que mourut la Plume Roerth à 24 ans. Enfant à Lyk , il avait traversé le lac à la nage en plein hiver ; son premier meurtre fut celui de sa petite amie, sur ordre de son maître ; il remplit avec succès plus de 30 contrats en solitaire ; à l'apogée de sa gloire il déclencha une guerre des assassins entre la Main Rouge et l'Aile Noire, en tuant le lieutenant de cette première. Il avait bêtement oublié que s'il est plus simple de passer par les fenêtres pour pénétrer dans un bâtiment, il est alors nécessaire de vérifier derrière les portes qu'il n'y ait pas de gardes. Le métier d'assassin ne tolère pas les paresseux.