la larme de la mariée

Ils étaient restés seuls, debout devant leur banc. Les invités à la cérémonie étaient partis au vin d'honneur ; le dernier venait d'y partir. Leurs acclamations, leurs cris de joie, leurs pleurs résonnaient encore dans les oreilles du couple silencieux. Le prêtre qui venait de bénir l'union des deux elfes finit de ranger ses affaires dans sa besace, et s'en alla. Les deux amants se tournèrent l'un vers l'autre et se sourirent, complices. Ils restaient ainsi depuis que Louvendra avait tendu à Akéane le bouquet que la mariée avait lancé.

Aoife alla jusqu'à l'autel devant lequel s'étaient tenus les mariés quelques minutes auparavant. Il tendit la main vers Akéane qui était restée dans le parterre :
-"Viens."
Elle rejoignit son ami en marchant lentement. Elle gardait la tête baissée pour monter les quelques degrés qui les séparait, sa robe serrée l'empêchant de faire de grands pas. Elle semblait heureuse, sans rien d'autre que de douces arrière-pensées rassérénantes. Il prit tendrement sa main quand elle arriva à la dernière marche et l'aida à franchir ce dernier obstacle. Un sourire illuminait le visage de la jeune femme.
Ils se tenaient droits devant l'autel, face à face, comme des mariés ordinaires. Ils semblaient hypnotisés par un sermon qui n'était pas prononcé. Etait-ce la magie de ce lieu consacrés aux divinités de l'Amour ? Ils se dévoraient des yeux, lisant les plus profonds secrets de leur propre passion dans les yeux pétillants de leur compagnon. Aoife pris Akéane par les épaules. Ils rapprochèrent lentement leurs lèvres. Ils fermèrent les yeux.

Il faisait plein jour. C'était le soleil qui témoignait de cet heureux événement. L'assemblée était en liesse et l'exprimait avec enthousiasme. Tout Serredor assistait bruyamment au mariage de leur intendante. Le petit Harma courait dans l'allée en riant, ignorant que le spectacle n'était pas le papillon qu'il poursuivait. Les mots étaient dits et les amoureux se sentaient transportés de bonheur. Les uns applaudissaient, les autres pleuraient de joie. Chacun allait de son commentaire entendu. Les mariés s'embrassèrent enfin et la fête tourna à l'euphorie. On leur jetait en pluie des grains de blé pour la prospérité. Les couvre-chefs blancs volaient dans toutes les directions. Des feux d'artifices pétaradaient de partout.

Leur tendre baiser s'étendait vers l'infini dans la salle silencieuse. Un bref instant, Akéane oublia tout ce qui faisait qu'elle était bien plus qu'une simple femme. Une larme, une seule larme perla de ses yeux et roula sur sa joue. Dieux, que cette larme était belle !
Aoife la sentit. Il savait bien ce qu'elle représentait. L'ascèse nécessaire à leur art niait l'existence même de cette larme. Elle était le renoncement à leur bonheur, le signe de la malédiction des enfants de la nuit. Elle était la douleur d'un manque que toutes les richesses du monde ne pouvaient combler. Mais cette larme était aussi le signe d'un amour profond et destructeur, presque un aveu de la déchéance du couple de sa dignité en Ombre. C'était un trésor que l'on ne pourrait jamais voler. Oh cette larme, comme il fallait la sécher, comme il fallait la chérir !

Ils ouvrirent les yeux ensemble et leur rêve de lumière disparut. Qu'il avait été court. Qu'il avait été bon.
Les deux savaient parfaitement mentir et reconnaitre un mensonge, mais ils se souriaient tout de même. Ce soir quand ils seront enlacés, ils envieront en secret du plus profond de leur cœur les deux mariés du jour.


HRP / un grand merci à Akéane, grâce à qui j'ai trouvé l'inspiration pour ce texte - le premier que ce perso m'inspire.