Chapitre premier : Survie
Depuis plusieurs heures, la neige s'accumulait lentement mais inexorablement dans les rues et sur les toits de Varanas. Les habitants de la cité avaient été surpris de voir la neige tomber si précocement dans la saison et la plupart d’entre eux évitaient de sortir en cette morne journée. Ceux qui y étaient obligé de par leur activité circulaient prudemment sur les pavés glissants, emmitouflés dans des capelines doublées de fourrure.
Au coin d’une rue du quartier est de la ville basse, une demi-douzaine d’enfants, adossés au mur d’une échoppe, se serraient les uns contre les autres pour tenter de se tenir chaud. Les haillons qui leur servaient de vêtements étaient pour le moins inadaptés au climat et tous grelottaient de froid.
Le plus jeune des enfants, qui ne devait pas avoir plus de cinq ans, sortit soudain une main bleutée par le froid de sous ses frusques et tendit un doigt vers le bout de la rue.
« R’voilà Akéane, dit-il. Chuis sûr qu’elle a trouvé à manger ! »
Les autres enfants levèrent la tête et une lueur d’espoir scintilla dans leurs yeux à l’approche de la jeune fille qui s’avançait vers eux. Cette dernière allait sans doute sur ses douze ou treize ans, ce qui faisait d’elle l’aînée de la « Bande de l’Est», comme ils s’appelaient eux-mêmes. Elle avançait avec assurance au milieu de la rue, bravant du regard les passants qu’elle croisait. Arrivé à hauteur du petit groupe elle ne s’arrêta pas mais lança d’une voix sans appel :
« Allez debout les pouilleux ! On bouge ! »
Et sans se retourner pour voir si elle était suivie, elle se dirigea vers les portes de Varanas. Derrière elle la bande s’était levée d’un bond et courait pour la rattraper. Un garçon qui devait avoir environ son âge se porta à sa hauteur.
« Où qu’on va Akéane ? On quitte not’ territoire ? Et si ceux d’l’Ouest se pointent ?
_ T’verras bien où on va Lorgy… et ceux d’l’Ouest peuvent bien s’pointer, z’auront pas plus d’chance qu'nous. Salauds d’bourgeois ! Pas un pour lâcher un quignon d’pain ! Alors on va tenter aut’chose
_ Ah ouais, quoi ?
_ T’verras, j’te dis. Maintenant ferme là, on arrive aux gardes. »
Elle s’arrêta alors pour attendre le reste de la bande, dont les plus jeunes peinaient à avancer sur les pavés couverts de neige.
« Cass’ aide donc Milto ! T’vois bien qu’il est à la traine ! »
L’intéressée jeta un œil derrière elle et se dirigea vers le petit Milto, qu’elle prit dans ses bras.
La bande franchit les portes de Varanas sous l’œil soupçonneux des gardes et s’engagea sur le pont. Arrivé de l’autre côté, Akéane réunit sa bande à l’abri d’un rocher.
« Bon, écoutez-moi ! Les bourgeois veulent rien lâcher pour éviter qu’on crève de faim alors on va essayer queq’chose... Un peu plus loin sur la route y a une ferme. Z’ont des beaux poulets bien gras qu’attendent juste à être bouffés. Voilà c’qu’on va faire : Cass’ et Milto, z’irez frapper à la porte pour faire la manche. Cass’, tu d’mandes un peu d’pain, un peu d’soupe, bref t’vois bien. Pendant c’temps Lorgy et moi on passe derrière et on chope un poulet ou deux. Les aut’ vous faites le guet. On s’retrouve à la planque avant la fin d’la nuit. Ah !Et su’l’chermin du r’tour ramassez du bois… l’poulet c’est meilleur cuit ! Ça va pour tout l’monde ?»
Les enfants opinèrent tous du chef, l’air grave, comme des soldats qui venaient de recevoir leurs ordres pour une mission de première importance. Mais c’est bien de cela qu’il s’agissait : une mission de toute première importance dont l’enjeu était la survie.